Cela fait bien longtemps que je ne regarde plus la météo la veille pour le lendemain. Encore moins les prévisions à dix jours. La relation de confiance que j’ai établi avec cette science inexacte s’est détériorée au fur-et-à-mesure des déceptions. Puis un jour, j’ai rencontré un magicien des prévisions météorologique qui, à l’œil nu, peut annoncer l’heure exacte d’un orage ou la vitesse du vent au km/h près. Il faut le voir pour le croire. J’ai eu la chance d’en faire l’expérience un après-midi d’Août 2016.
Le soleil brille aujourd’hui. Pas un nuage ne vient perturber le ciel bleu, véritable miroir de la mer Égée, qui surplombe le port de Skala Sikamineas (Lesbos). Mon hôte est un pêcheur grec avec lequel je viens tout juste de faire connaissance. Je suis alors en repérage pour mon premier documentaire long métrage qui ne verra malheureusement jamais le jour. Kostas, c’est un homme imposant, une force de la nature avec un sourire d’ange. Un homme qui parcourt la mer depuis tellement d’années, qu’il a arrêté de les compter. Fuir les problèmes que causent les hommes sur la terre ferme pour le calme que lui procure ses sorties en mer est devenu une évidence, un refuge, vers lequel il se dirige quand rien ne va. Ce refuge ne sera pourtant plus jamais le même.
Photo : Kostas, lors d’une sortie en mer Égée – © Wissame Cherfi.
Des tempêtes, Kostas en a connu des milliers sur son petit bateau blanc et bleu qui porte les cicatrices de quelques-unes d’entre elles. Pourtant, à l’été 2015, la tempête qui s’abat sur les côtes de son petit village est d’un tout autre calibre. Celle-ci laissera des traces indélébiles dans les mémoires de tous. Le conflit Syrien fait alors rage et des milliers de radeaux de fortune viennent échouer sur les côtes grecques. Un véritable raz de marée humain, une catastrophe humanitaire, dont les habitants de Sikamineas sont les premiers témoins. Kostas est de ceux qui n’hésitent pas une seule seconde à utiliser les embarcations pour la mise en place de missions de sauvetage. Ils sont pourtant nombreux à ne pas avoir eu la chance de croiser Kostas, périssant parfois même sous ses yeux dans les abîmes de cette mer qui donne la vie avec abondance et la reprend sans sentiments.
Cette déferlante qui s’abat sur le petit village de Skala Sikamineas, Kostas sait qu’elle le changera à tout jamais. Lui et tous les autres habitants qui se sont organisés pour sauver des milliers de vies humaines. Aujourd’hui, Kostas le dit lui-même. Il ne « pêche plus les poissons, mais des vies humaines » scrutant constamment l’horizon avec obsession.
Lorsque je lui ai demandé de me raconter sa première tempête, il prend un petit moment tout en fixant le sol, feuilletant mentalement son journal de bord des souvenirs.
« J’étais terrorisé. Dans ma petite barque, seul face à la grandeur de la nature et la petitesse de l’homme. Le bateau tanguait d’un côté et de l’autre, j’ai prié aussi fort que je pouvais pour que cette sortie en mer ne soit pas la dernière. Puis, au bout de quelques heures, le calme est revenu comme s’il n’était jamais parti. Les tempêtes, elles font partie de mon quotidien de pêcheur, mais surtout elles font partie de notre quotidien, à tous. Chacun les affronte à sa façon ou comme il le peut, le plus souvent ».
Il y a des tempêtes qui passent et que l’on oublie. Jamais la première d’entre elles. Les marins savent bien que, regarder un point fixe à l’horizon, est un bon moyen de survivre à une tempête qui fait rage. Alors, la prochaine fois que vous ferez face à l’une d’entre elle, regardez toujours droit devant vous, fixez un point à l’horizon en attendant qu’elle passe. Ne désespérez pas, car le calme vient toujours après la tempête. Quoi qu’il arrive.
Wissame