Samedi 9 avril. Il est cinq heures du matin et j’ai lâchement capitulé face à l’insomnie qui s’est déclarée. Même la technique des US Marines pour s’endormir en quelques secondes n’a eu aucun effet. Incroyable. Je viens de faire flancher l’armée américaine. Je m’emballe un peu. Néanmoins, il y avait bien longtemps que cela ne m’était pas arrivé. Non pas de défaire l’armée d’élite américaine… mais de ne pas réussir à me rendormir. Alors, quitte à être parmi les courageux (ou les fatalistes) qui se lèvent aux aurores sans le vouloir, autant mettre à profit ce temps pour parler d’un sujet sérieux qui me touche particulièrement. Wissame. Arrête ce suspense à deux balles. De quoi tu veux encore nous parler ? De politique. Et voilà. Le mot interdit, ou presque, passible de la peine capitale à peine évoqué. Un mot qui fait froncer les sourcils. Qui provoque des raideurs dans la nuque et l’augmentation des rythmes cardiaques. Quand avez-vous pu avoir une discussion respectueuse, saine et apaisée sur des sujets de société avec vos amis ou collègues, pour la dernière fois ? Rassurez-vous, (enfin pas si sûr) nous sommes nombreux dans le même cas.
Enfin, dire que je voudrais parler de politique n’est pas totalement exact. Mes opinions me sont personnelles. Ou du moins, je choisis d’en discuter avec des personnes dont je sais qu’elles pourront m’apporter de la nuance et nourrir ma réflexion sur le sujet, tout en étant parfois en total désaccord avec mes idées. Parce que oui, malheureusement, il semblerait qu’il ne soit plus possible de parler de tout avec tout le monde sans provoquer des miniséismes qui ravagent les relations. D’ailleurs, c’est de cela dont je voudrais parler… De nuance. Le véritable ennemi du politique, qui par lien de cause à effet devient également le nôtre.
Nous approchons la fin de campagne électorale qui aura pour dénouement l’élection du prochain Roi de France – ou de la prochaine Reine. Il n’y a bien longtemps que je ne regarde plus la télé, mais il est impossible d’y avoir échappé ces derniers mois, et plus particulièrement ces dernières semaines. Nous rentrons dans les dernières heures capitales pour chacun des candidats aux cinq-cent signatures et aux millions d’euros dépensés pour leur campagne de séduction aux français. Les panneaux d’affichage officiels accaparent les emplacements stratégiques de nos villes, venant s’ajouter à la pollution visuelle, déjà asphyxiante, des panneaux publicitaires des grandes marques. Des panneaux de campagne aux discours politiques, je trouve d’ailleurs qu’ils manquent cruellement de nuance.
La nuance est l’ennemi du discours politique. Elle l’a toujours été. Chaque discours est déversé de grandes phrases bien écrites, n’utilisant que des formules affirmatives. Le politique, éloquent, maîtrisant parfaitement le verbe et la joute verbale, donne la fausse impression de parler avec expertise sur n’importe quel sujet qui lui est donné de répondre. Tiens, voilà que j’émets un jugement sans apporter de nuances, moi non plus. Je sors la sulfateuse à idées préconçues et jugements hâtifs pour mettre tout le monde dans le même panier. Il est vrai qu’il doit bien y avoir exception à la règle, n’est-ce pas ? Pourtant, je ne l’ai toujours pas trouvée. C’est peut-être parce que mes propres niveaux de méfiance sont au plus haut lorsque je me laisse séduire par des politiques qui osent publiquement afficher un discours novateur. C’est fou ce que ce manque de nuance généralisé qui entoure la politique et les révélations de journalistes compétents sur des scandales d’état ont provoqué en nous. Un rejet systématique et de la méfiance envers le politique, son discours et ses idées. C’est pourtant capital de s’y intéresser, non ? Peut-être que c’est l’objectif principal de ces discours ? Ah, voilà ! Là, tu nuances Wissame. Reprenons.
De la nuance, il en faut toutefois. Et pas qu’un peu. Si le discours des politiques est tout sauf un modèle en la matière, peut être, devrions-nous chercher à apporter plus de nuance ailleurs. Par exemple dans nos modes de consommation pour commencer. Dans nos lectures. Dans nos amitiés. Dans nos conversations. Pourquoi est-il devenu si compliqué d’être en désaccord ? De discuter de sujets, somme toute complexes, sans tomber dans les bassesses du jugement de valeur, ou sans que l’émotion scelle la fin d’une amitié de longue durée. Certainement que, finalement, nous ne faisons que suivre les politiques par mimétisme ? Avons-nous pour autant des circonstances atténuantes ?
Les duels improbables s’enchaînent et s’organisent à des heures de grandes affluences sur des émissions particulièrement apolitiques. La ceinture de champion revient à celui qui aura pu repousser dans les cordes jusqu’à décision de l’arbitre. Les débats sont devenus des combats. Avec le buzz et le clash qui vient récompenser la foule venue nombreuse en recherche de sang frais, devant ses écrans, pour être témoin de la scène et être parmi les premiers à partager avec leurs bien pensants les extraits d’un combat de deux heures quarante-cinq. C’est d’ailleurs l’autre ami du politique, l’essentialisme, qui nous a fait devenir des lecteurs de titres, à défaut des textes dans leur intégralité. Il paraît que nous sommes plus enclins à partager un article sans le lire. Et ça, le politique l’a (certainement) très bien compris. « La polémique consiste à considérer l’adversaire en ennemi, à le simplifier et à refuser de le voir. Devenu aux trois quarts aveugle par la grâce de la polémique, nous vivons dans un monde de silhouettes. Nous étouffons parmi les gens qui croient avoir absolument raison », disait Albert Camus.
Alors, il nous revient peut-être à nous, hommes et femmes adultes responsables, de ne pas tomber dans le piège de l’avis certain. De l’envie de toujours avoir le dernier mot. De constamment vouloir convaincre et rallier les autres à notre cause. De ne s’entourer que de gens qui pensent comme nous. De consommer du contenu qui va venir confirmer nos idées jusqu’à les arrêter. Élevons-nous dans les débats, car c’est bien de nous dont il s’agit. Non pas des politiques et de leurs discours stéréotypés. Apportons de la nuance dans nos propos, sans pour autant émettre des jugements définitifs sur des sujets que nous ne maîtrisons probablement pas. Il n’y a rien de mal à se dire que l’on ne sait pas si cela nous pousse à chercher et trouver. Et puis, pourquoi pas s’avouer que l’autre peut aussi avoir raison. On peut ne pas être d’accord sur certains sujets, se le dire avec respect, expliquer pourquoi, tout en se quittant en bons termes une fois la conversation terminée. À défaut de paillettes, essayons tous d’apporter un peu plus de nuance dans nos vies. Pour le bien de tous. Pour notre bien-être personnel. Pour notre propre quête de sens.
Wissame