Est-ce qu’il vous est déjà arrivé de repenser à un film plusieurs jours après l’avoir vu ? Le film vous a tellement chamboulé que vous lisez tout ce que vous pouvez sur le sujet. Si c’est une histoire vraie, vous achetez le livre et le dévorez en quelques heures pour nourrir votre besoin de comprendre. Ou bien un film vous a tant retourné l’estomac que vous ne pouvez plus rien regarder pendant plusieurs semaines, comme c’est le cas après le visionnage de « Dahmer ». Lorsque le générique de fin de ‘The Mauritanian’ apparait à l’écran, je suis sans voix, totalement retourné par le spectre d’émotions auquel j’ai été soumis pendant plus de deux heures. Cela fait bien longtemps qu’un film ne m’avait pas autant ému et révolté.Si vous ne l’avez pas encore vu, rassurez-vous, je ne vais rien vous dévoiler ni vous gâcher le plaisir du film. Le personnage principal qui y est dépeint est attachant, touchant et les situations dans lesquelles il se trouve malgré lui sont révoltantes.
Ces ressentis que j’ai gardés en moi plusieurs jours après le visionnage du film, m’ont conduit à me poser des questions, à l’origine de cet article dont celle-ci. Les films ont-ils véritablement un impact sur nos émotions ?
Il y a plusieurs années en arrière, j’ai cherché à comprendre le pouvoir du storytelling sur les spectateurs. Nombreux sont celles et ceux qui me disaient que mes documentaires courts les touchaient. On m’a d’ailleurs surnommé « le larmoyant » pour ma capacité à raconter des histoires très touchantes. Au fil des années, j’ai voulu découvrir le secret d’une vidéo réussie, j’ai d’ailleurs écris un article, il y a fort longtemps sur le sujet du storytelling.
Sa définition par Patrick Moreau résume parfaitement ma conception. «Un bon storytelling transporte votre auditoire, l’immerge et le bouleverse tout en perdant notions de temps et d’espace ». Combien sommes-nous à nous demander où sont passées les deux heures d’un film extraordinaire ou au contraire, regarder inlassablement notre montre lorsqu’il ne parvient pas à nous tenir en haleine ?
Le Transport Narratif
« Il faut penser à un voyage, une façon de quitter mentalement l’endroit où vous vous situez pour s’immerger dans le monde et l’espace créés par l’histoire. Plus vous êtes transportés, plus votre environnement physique disparaît. L’immersion est donc totale, vous ne vous préoccupez plus des distractions qui vous entoure. Plus vous êtes transporté dans l’histoire, plus vous êtes susceptible d’adhérer aux croyances et aux actions que vous voyez dans cette histoire » raconte Patrick Moreau dans son ebook ‘Story of Story’.
Le Neurone Miroir
Il y a approximativement 100 milliards de neurones dans le cerveau. Parmi ces neurones, il y a une catégorie particulière que l’on désigne sous l’appellation Neurone Miroir. Ce neurone, c’est celui qui réagit lorsque nous voyons quelqu’un exécuter une action. C’est comme si nous la faisions nous-mêmes. Cette cellule est également activée lorsque nous racontons une histoire à laquelle le spectateur peut s’identifier. L’exemple le plus simple à évoquer lorsqu’on parle de ces neurones est celui de l’enfant.
Lorsque nous sommes petits, nous mimons tout ce que nos parents font, ce qu’ils disent et ce qu’ils n’ont même pas conscience de faire.
Ces neurones miroirs sont une des clés du storytelling. Des études ont montré grâce à des PETs scans la chose suivante. Lorsqu’une personne fait un mouvement, la personne qui la regarde va activer les mêmes zones du cerveau que celles de la personne qui exécute le geste. C’est d’ailleurs ce que développe en détails Jean-Michel Oughourlian dans le livre ‘Cet autre qui m’obsède’.
Les Effets Hormonaux
Lorsque le spectateur est transporté et immergé dans l’histoire, le cortex frontal, temporal gauche, sensoriel et moteur sont activés. Une série d’hormones sont sécrétées en fonction des émotions qui sont ressenties et donc transmises par l’histoire. Je vais vous en décrire trois qui vous permettront de comprendre les effets sur votre corps.
- La Dopamine, provoquée par le suspense, aura des effets sur la concentration, la motivation, la mémoire.
- L’Oxytocine, provoquée par l’empathie, aura des effets sur la confiance, le lien, la générosité.
- L’Endorphine, provoquée par le rire quant à elle, est liée à la mise au point, la motivation.
Dans “The Science of Storytelling: What Listening to a Story Does to Our Brains”, Léo Widrich indique que «non seulement les parties de traitement du langage dans notre cerveau sont activées, mais tous les autres domaines de notre cerveau que nous utiliserions pour vivre les événements de l’histoire le sont aussi». Léo Widrich, citant le neuroscientifique de Princeton Uri Hasson, écrit « qu’une histoire est le seul moyen d’activer des parties du cerveau afin qu’un auditeur transforme l’histoire en leur propre histoire, idée et expérience ».
Les films auraient donc la capacité de nous faire exprimer des émotions que nous refusons dans la vie de tous les jours. C’est en tout cas l’avis de Birgit Wolz, psychologue spécialisée dans les films comme thérapie et auteur de « E-motion Picture Magic ». « Parce que de nombreux films transmettent des idées par l’émotion plutôt que l’intellect, ils peuvent neutraliser l’instinct de supprimer les sentiments et déclencher la libération émotionnelle. En suscitant des émotions, regarder des films peut ouvrir des portes qui, autrement, pourraient rester fermées. »
Évidemment les portes qui s’ouvrent lors du visionnage d’un film vont dépendre du genre. La traduction physiologique des émotions auxquelles nous faisons face est tout aussi étonnante.
D’après une étude de l’Université of Marylandes, les comédies ont la potentialité de dilater nos vaisseaux sanguins de 22%, nous permettant d’augmenter le flot sanguin. Notre tension diminue en regardant une comédie, au même titre que lorsque l’on pratique une activité physique. Au contraire des films d’horreurs qui peuvent augmenter le rythme cardiaque, provoquer des douleurs aux thorax et l’augmentation de la pression sanguine. L’accroissement des niveaux de cortisol et d’adrénaline peuvent également contribuer à faire rejaillir des souvenirs d’événements traumatisants que nous aurions vécu.
C’est notamment le cas de soldats atteints du Trouble du Stress Post Traumatique (TSPT) lorsqu’ils regardent des films de guerre. Certaines scènes réalistes peuvent les plonger dans les méandres de leurs souvenirs.
Les films ont vraisemblablement un impact sur nos émotions et sur notre physiologie. Certains semblent avoir la capacité de nous aider à faire face à certaines émotions, alors que d’autres semblent pouvoir déterrer des traumatismes enfouis dans nos cerveaux. Je pense à « Dahmer », le dernier-né des séries gores chez Netflix. À quel point nos cerveaux sont-ils faits pour accepter le réalisme produit, dans des séries ou des films, de personnes qui existent et qui ont commis des crimes atroces ? Quel est l’impact psychologique à court, moyen et long terme d’une exposition à ce genre de séries sur le spectateur ?
Chacun pourra définir les contours de ce qu’il considérera un bon film, mais vous saurez désormais ce qu’il se passe en vous lorsque vous ne pouvez pas décrocher vos yeux de l’écran pendant quatre-vingt-dix minutes.
Wissame
Sources et inspirations :
– Movies can cause special effects on the body, article du Chicago Tribune.
– How do movies affect our emotions ?, article de Vice.
– This is our brain on violent media, article de Science Daily.
– The Magical Science of Storytelling, par David JP Philips.
– Cet autre qui m’obsède, de Jean-Michel Oughourlian.
– The danger of a single story, par Chimamanda Adichie, TEDx.
– The Story of Story, par Patrick Moreau.
– The Science of Storytelling : Why telling stories is the most powerful way to activate our brains, par Leo Widrich.
– The Hero with a Thousand Faces, par Joseph Campbell.
– 2 + 2 instead of 4, par Andrew Stanton
– Science of storybuilduing : Narrative Transportation, article par Annie Neimand, Ph.D.
– I know I can’t watch war movies anymore, article sur Make The Connection.