Il est autour de onze heures du matin lorsque j’entends un bruit fracassant, provenant de la vitre adjacente à mon bureau. Je me lève d’un bond prêt à en découdre. Étant situé au rez-de-chaussée, la fenêtre donne sur une rue passante. Un scénario se dessine sèchement dans ma tête: un jeune vient de frapper dans la vitre pour s’amuser. Je me presse pour rechercher le coupable du regard. Dehors pourtant, personne ne semble courir, s’enfuir ou même se cacher. Je n’entends personne non plus rire à gorge déployée ou même crier. Étrange. Emplis de doute, mon attention se porte alors sur un oiseau dans le caniveau. Sa position m’indique qu’il n’est pas dans son état normal. Il semble bien trop adroit pour être tombé du toit et il est bien trop âgé pour être tombé de son nid. Des traces d’impact sur la vitre viennent appuyer une théorie, elle, de plus en plus certaine. Ce jeune merle vient de s’écraser à pleine vitesse, probablement troublé par la réflexion des arbres qui font face au bâtiment.
Je l’observe longuement. Sa posture de plus en plus inconfortable trahit une situation de plus en plus critique. Le poids de son corps presse son petit bec, lui-même aplati sur le sol. Sa queue oscille tel un métronome rythmé par les battements célères de son cœur. Figé là moi aussi, j’assiste impuissant aux derniers instants de sa jeune vie. Le destin, dans sa bonté, a voulu qu’il soit dissimulé entre deux voitures à l’abri de prédateurs. Pourtant, ces derniers pourraient profiter de ce moment de vulnérabilité et mettre fin à ses peines.
Au même instant, de petits oiseaux qui étaient posté sur une barrière de l’autre côté de la rue viennent à sa hauteur. Non pas pour contribuer à son réconfort, mais pour lui chiper quelques miettes de son repas, désormais éparpillés sur le sol, qu’il maintenait fermement dans son bec avant le crash. Ils s’affairent à la hâte avant de repartir avec leur précieux butin. Mon cœur bat la chamade. Désormais seul et unique témoin de la scène, je ne peux me détourner de ce moment si singulier. Il m’est impensable de l’abandonner. Dois-je lui porter secours ou laisser le cycle de la nature suivre son cours ?
Les mouvements brusques de son corps balayent mes doutes en un instant.
Enfin ! Ça y est, il semble peu à peu reprendre ses esprits ! Après plusieurs tentatives et un dernier effort herculéen, il se redresse sur ses pattes. Le petit merle reste figé de longues secondes avant de repartir en un claquement de doigts, comme si de rien n’était. ‘Comme si’, car on ne ressort pas indemne d’un choc physique et émotionnel comme celui-ci. Soulagé, je retourne à mes occupations. Pensif.
De cette rencontre, je retiens une métaphore de la vie – après une expérience douloureuse quelle qu’elle soit, rester figé quelques instants n’est peut-être pas un aveu de faiblesse. C’est peut-être la seule et unique solution dont on dispose pour refléter et reprendre ses esprits. Ces expériences parfois traumatisantes, réveillent une force alors insoupçonnée, permettant d’embrasser pleinement ses vulnérabilités. Alors oui, certain(e)s profiteront de ce moment pour ramasser quelques-unes des reliques jonchant le sol après votre chute. Peu importe. Maintenant vous savez sur qui ne plus compter. Il ne tient qu’à vous de tirer les leçons de ces expériences et avancer. La douleur n’est qu’un état temporaire. Encore un petit effort. Vous y êtes presque. Nous y sommes presque.
Wissame