Sur un fil de funambule.

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Nous sommes tous deux plongés dans le vide abyssal provoqué par le moment d’après : celui qui reprend la vie et promet un atterrissage sans parachute aux âmes condamnées par les conséquences de leurs actes. Sur le parquet gît son corps, inerte, dont le sang jaillit en faiblissant de sa jugulaire, rythmé par les dernières pulsations de son cœur. Il se répand sur le sol tel le roulement d’une vague sur le sable, dans le silence assourdissant qu’impose le bourdonnement des regrets.

 

L’arme du crime est serrée dans ma main droite et porte les traces indélébiles de la violence de notre altercation. Des gouttes ruissellent de la lame du coupe-papier pointée vers le sol, créant une flaque dont le fracas de chaque perle fait apparaître des encyclies. Mes tremblements se transforment en sanglots, tandis que les hurlements d’une femme, entrée à la hâte, me font sursauter et provoquent mon retour à la réalité.

 

Tout est allé si vite. C’est incompréhensible. De toute ma vie, je n’avais jamais souhaité la mort à quiconque, alors être aujourd’hui celui qui reprend la vie est un cauchemar sans nom. Ce n’en est pourtant pas un. Tout est bien réel. Je suis immobile. Sous le choc. Mon cœur tambourine dans ma poitrine, mon souffle est court et mes jambes se dérobent sous le poids de la culpabilité. Des policiers entrent au même moment dans la pièce et me somment de lâcher mon arme sur le sol. Je m’exécute machinalement, toujours happée par cette flaque qui prend de l’épaisseur, comme mes remords. Deux hommes me projettent au sol sur le ventre et portent mes mains derrière mon dos avec force, puis me relèvent avant de m’extirper de la scène du crime. Mes jambes trainent le sol et créent une traînée de sang, pendant que je fixe, sans détourner le regard, cette carcasse inanimée autour de laquelle s’affairent d’autres hommes armés tels des vautours. Je le sais. J’en suis conscient. Je viens de commettre l’irréparable. Je viens surtout de tirer un trait sur cette vie remplie de libertés que j’aime tant. Je viens aussi de tirer un trait sur mes rêves de grandeur, mes envies d’ailleurs et d’un futur que je pensais brillant, mais qui s’éteint comme un feu non protégé sous la pluie. Comment ai-je pu en arriver là ? Que va penser mon fils, pas encore né, quand on va lui annoncer que son père est un meurtrier ? En l’espace d’une respiration, je viens de mettre tous mes rêves au placard.

 

Cette journée avait pourtant bien commencée. Ce matin, l’échographie nous a confirmé la vie dans ce petit ventre rebondi. Et puis celle de midi, m’a plongé vers les abysses de mon existence ; vingt-huit bougies désormais soufflées par un geste de désespoir qui inflige la mort.

 

Soudain, je reprends mes esprits. Je reviens au moment d’avant : celui qui me permet encore de choisir une issue différente.

Il se tient là, face à moi et me fixe de tout son dédain et de ce sourire narquois qui fait de lui le pire être que la médecine moderne ait enfanté. Dans le pot à crayon, j’entrevois l’arme présumée du crime qui n’attend que la réalisation de sa destinée. Je me contiens de tout mon être en me mordant les lèvres jusqu’au sang, les poings serrés sur la table et les jambes qui sautillent en alternance, dans l’espoir de retrouver l’harmonie. Et puis je pense à mon fils, pas encore né. Je me terre dans un silence de victime pour préserver le peu de raison qu’il me reste. Je tente de repousser toutes ces idées macabres qui me percutent le crâne jusqu’à les faire taire et retrouver le calme.

 

Au lieu de chercher des solutions, j’ai trouvé le coupable idéal. Il est pourtant certain qu’en échappant de son bureau en furie, je viens de sauver mon futur, mon honneur et celui des miens. Je ne sais toujours pas ce que j’ai et l’humiliation que j’ai subie est plus violente encore que l’annonce de ma maladie. Néanmoins, je suis conscient d’avoir évité les prémonitions de ce songe, auxquelles j’ai refusé la soumission de tout mon être. C’est ma plus grande victoire dans cette défaite.

 

– Exercice d’écriture Septembre 2021 –

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Wissame
Wissame

Wissame Cherfi est un producteur, réalisateur, podcasteur et auteur avec une expertise de + 10 ans dans le domaine de la production audiovisuelle. Dix années qu'il met à profit désormais en tant que Consultant Créatif Freelance en aidant ses clients sur tout types de projets créatifs. « La musique qui vient de mon cœur » (2022) est son premier livre.

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