La majorité des personnes devenues « parents » avec lesquelles j’ai pu échanger semble baigner dans un océan de bonheur abyssal. La façon dont je vis ma parentalité paraît parfois à des années-lumière de la leur. Et lorsque je commence à pointer du doigts certaines expériences et évoquer certains ressentis personnels sur le sujet de la gestion des émotions, les visages se crispent. Les silences deviennent pesants. Mes interlocuteurs paraissent n’avoir pas du tout vécu les choses de la même façon ou souffrir d’amnésie d’évocation. Quoi de plus normal, n’est-ce pas ? Nous ressentons, toutes et tous, les choses de manière unique. Mais de là à ne pas avoir une once de similarité dans nos expériences est venu me questionner sur mon propre ressenti. Le développement de la vie dans le ventre d’une femme, conduisant à la naissance d’un nouvel être humain, est une expérience difficilement explicable, tant le spectre d’émotion auquel nous sommes confrontés est sans égal. Pourtant, il y a une réalité à laquelle je ne peux échapper depuis la naissance de mon fils : ma difficulté à le gérer émotionnellement.
Sans une véritable prise de conscience et sans avoir été éduqué sur le sujet, il est complexe de nous gérer nous-mêmes émotionnellement, alors que nous sommes ballotés de toutes parts par les tempêtes que nous impose la vie. D’ailleurs, les deux derniers confinements, et plus généralement les deux dernières années Covid, ont été un grand révélateur des systèmes fonctionnels de chacun. L’arrivée d’un enfant est un ouragan de catégorie quatre qui détruit toutes les bases de nos systèmes de fonctionnement, pour révéler nos dysfonctionnement les plus intimes. Apprendre à un enfant à composer avec ses émotions, veut dire que nous avons fait le chemin pour apprendre à composer avec les nôtres. C’est un processus perpétuel, mais depuis que je suis papa, j’ai beaucoup de difficultés à être témoin de son apprentissage de ses propres émotions, sans me voir moi-même dépassé.
Je crois avoir mis la main sur la cause profonde de mon ressenti si différent de celui des autres parents dans mon entourage. Ce qui semble difficile dans l’accompagnement d’un enfant et de ses émotions, c’est l’acceptation honnête et franche de l’image qu’il nous renvoie en rapport à nous même ; les tics de paroles, de gestuelles, les mimiques, les intonations, les gestes d’humeur. Tout est disséqué par son sens de l’observation aiguisé. Tous nos défauts les plus intimes sont démasqués. Ce qui me dérange tout particulièrement, c’est la prise de conscience sur le décalage entre l’image que j’ai de moi-même et la réalité renvoyée par le comportement miroir de mon fils. Ce miroir déformant, c’est aussi et surtout une excellente opportunité de s’améliorer. De conscientiser ses choix, ses paroles et pousser à un degré d’introspection supérieur que je n’aurais pas eu le courage d’amorcer seul. Et puis, un sourire, une embrassade et un tendre moment vient balayer l’ouragan pour nous plonger, nous aussi, dans une amnésie abyssale d’évocation, jusqu’à la prochaine tempête. Néanmoins, il semblerait encore une fois que les enfants aient bien plus à nous apprendre que l’inverse.
Wissame