Si je vous disais que des milliers d’hommes souffrent en silence, et ce, depuis des centaines d’années, d’un mal qui se transmet de générations en générations. Parfois sans même qu’ils n’en prennent eux-mêmes véritablement conscience. Ces souffrances conduisent à un mal être qui est le fruit du “déni de leur humanité”. Alors, quelle est l’origine de cette souffrance selon vous ? Je vous fais le pari que vous avez pensé à plusieurs pistes sauf à celle encore peu abordée publiquement qui mène a “l’expression des émotions”.
La partie invisible de l’iceberg personnel de chacun, cette forteresse impénétrable dans laquelle beaucoup d’hommes se construisent et qui, en réalité, n’en est pas une. Jason Wilson dans son livre ‘Cry Like a Man’, parle de manière profonde de cette souffrance dont il a lui-même subis les foudres comme beaucoup d’autres hommes. Il parle “d’émotions incarcérées”. Le terme est fort, mais décrit à merveille la puissance de ce mal être qui fait des dégâts sur la santé mentale de millions d’hommes dans le monde.
Changer notre attitude par la conversation.
Encore aujourd’hui l’homme, dans l’expression de sa masculinité la plus profonde, ne peut pas envisager de se plaindre ou d’exprimer sa douleur. Encore moins pleurer sous peine d’être classé dans une catégorie de sous-homme par ses paires.
Les films regorgent de héros qui sont comme des bêtes blessées, mais qui se refusent de céder face au poids de leurs émotions. Lorsque ces hommes cèdent parfois devant leurs émotions, on découvre alors qu’ils sont manipulés. La seule et unique solution dont ils disposent, est de porter un masque de virilité sans jamais se résoudre à le faire tomber. Je me suis construit dans cette image de l’homme invincible et insensible en me disant que c’était le modèle d’homme que je voulais devenir.
Discuter des choses qui ne vont pas. C’est un art que maitrisent les femmes à la perfection et qui semble impossible pour nous, les hommes. Mes quelques timides tentatives de les exprimer en grandissant me valent une avalanche de rires et de moqueries. C’est décidé, on ne m’y reprendra plus jamais.
Briser nos chaines.
Les choses changent doucement, lentement, mais elles progressent et c’est le plus important.
Dans le monde entier, on voit des dizaines d’organisations qui prennent le problème à bras le corps. L’une d’entre elle s’appelle “Ballsy” et elle est dirigée par un ami, Rob Gaitau. Rob c’est un ancien joueur de rugby professionnel que j’ai connu lors d’un tournage en Nouvelle-Zélande. Il est l’incarnation de la force tranquille, mais aussi du cliché de la masculinité comme on le connait tous. Lorsqu’on le voit, grand, costaud, musclé, jamais on imagine les phases sombres par lesquelles il est passé. Récemment, il a brisé la glace sur sa santé mentale, la dépression à laquelle il a fait face et les répercussions que la non-acceptation et la non-gestion de ses émotions ont pu avoir sur sa vie d’homme, de papa et de mari.
Pour pousser d’autres hommes à en parler, il a décidé de se confier publiquement sur cette plongée dans les abimes de son existence. Parler, s’exprimer, écrire. Tout mettre en œuvre pour ne pas se renfermer sur soi-même en pensant que l’on va digérer ce qui, en réalité, viendra alimenter le magma de souffrance que nous portons en nous secrètement.
Que faire si en parler n’est pas encore possible ? Certains n’ont personne à qui parler ou tout simplement peur du jugement de l’autre. Dans ces cas-là, pourquoi pas mener une conversation avec soi-même.
L’apport thérapeutique de l’écriture.
Est-ce que vous avez tenu un journal intime étant petit ? Levez vos mains que je puisse les compter. Oui, c’est effectivement mon cas. J’avais environs dix ans et je voulais absolument faire comme ma sœur qui en avait un. À l’époque, il m’offrait la possibilité de jouir d’un certain espace privé dans lequel je pouvais faire tomber les masques en parlant de mon quotidien et plus étrangement, de certaines frustrations et de certaines émotions que je ne me permettais pas d’exprimer en dehors de ces pages.
C’est avec les années que j’ai vraiment compris ce que ce journal m’apportait beaucoup. C’était comme vivre deux vies en parallèle. Celle qui se conforme au monde extérieur et celle-ci, plus en accord avec mon identité véritable.
Aucun jeune garçon n’a envie de paraitre “faible” aux yeux des autres. Alors, nous revêtons tous ce masque de virilité et de masculinité qui devient la norme. D’ailleurs, personne n’oserai le remettre en cause sous peine, encore une fois, d’être rejeté et rétrogradé au statut de sous-homme.
Des larmes libératrices.
D’après une étude que j’ai découvert récemment, les larmes contiendraient des hormones de stress. Ces larmes permettraient donc d’évacuer ce qui ne peut être dit tout en ayant un véritable effet libérateur de certaines expériences traumatisantes.
En écrivant mon premier livre – actuellement en phase de réécriture, j’ai pleuré à de nombreuses reprises. Le sentiment de libération qui en découle à chaque fois est extraordinaire. Ces larmes que je me refusais autrefois d’exprimer, m’indiquent pourtant que je suis sur le chemin de l’acceptation de certains traumatismes, prêt à tourner véritablement la page. Lorsque je m’autorise à parler, écrire et exprimer mes émotions, je brise un peu plus les chaines qui m’empêchaient de le faire.
Aucun homme ne devrait avoir honte ou se cacher pour exprimer ses émotions. Ce travail de changement des mœurs doit s’opérer dès à présent avec l’éducation de nos propres enfants et surtout celle des jeunes garçons.
Je viens d’une longue lignée d’homme qui n’a jamais pu exprimer ses émotions, à qui on a même demandé de les enfouir au plus profond d’eux. La prochaine fois que vous rencontrer un de ces hommes qui semble “dénué de son humanité”, tendez lui une oreille attentive ou parlez-lui de la possibilité de s’exprimer dans un journal intime. Peut-être qu’il vous remerciera quelques années plus tard.
Wissame