Ce que j’ai appris en jouant au football pendant 14 ans.

Partagez l'article sur :
Temps de lecture — 9 minutes.

J’ai toujours eu en moi une grande maturité, et ce, depuis tout petit. Lorsque j’ai cinq ans, je commence à jouer au football en tant que gardien de but. Un des postes les plus compliqués pour mon âge. D’ailleurs, personne ne voulait aller dans les ‘cages’. C’est un entraîneur qui a pris la décisions de m’y installer. Je n’étais pas content à l’époque, je voulais ‘marquer des buts’, mais avec le recul, je lui en suis reconnaissant.

 

C’est le seul poste ou on ne peut pas fuir ses responsabilités. Si le ballon passe derrière le gardien après une erreur, c’est but pour l’équipe adverse. Je l’avais très vite assimilé et j’adorais cette responsabilité.

 

Le football est ma passion depuis toujours.

 

J’y ai dédié plus de quinze ans de ma vie plusieurs fois par semaine et tous mes week-ends. Lorsque je ne jouais pas, j’aimais regarder les matchs. À la télé ou au stade. Lorsque je n’étais pas devant ma télé ou au stade, je pensais football, je lisais football, je mangeais football. Mes murs étaient ornés de posters de footballeurs que j’admirais et de petites figurines à leur effigie s’érigeaient sur les étagères de ma bibliothèque.

 

J’adorais ce poste, gardien de but. Par définition, c’est celui qui ‘garde’, qui ‘protège’. J’avais la responsabilité de ma défense, je pouvais observer le terrain et donner des conseils de placement à mes joueurs. Et puis j’adorais être décisif sur un penalty ou un face à face. Et puis cette impression de ‘voler’ comme un oiseau pendant quelques secondes lorsqu’on est dans les airs, c’était magique.

 

J’étais plutôt bon, mais ça n’a pas toujours été le cas. Lorsque j’étais plus jeune, mon père m’amenait chaque week-end dans tous les stades où nous devions jouer. Il critiquait mes performances quand elles n’étaient pas bonnes et me complimentait très rarement lorsqu’elles étaient très bonnes. Je sentais tout de même qu’il était fier lorsqu’on gagnait, c’est tout ce qui m’importait. 

 

J’ai découvert au fil des années qu’il me suivait avec assiduité sur les terrains non pas parce qu’il n’aimait pas le football. Non, il le faisait parce que c’était sa façon à lui de me témoigner son amour. 

 

Ma force mentale vient de là.

Du poste de gardien de but, certainement.

De la façon dont j’ai été éduqué, probablement.

De mon envie de montrer à mon père que je pouvais être bon dans ce que je faisais, j’en suis persuadé.

 

Au fil du temps, j’ai comblé mes lacunes physiques en développant mes réflexes, mon placement, mon sens de l’anticipation, mes capacités d’observation. J’ai comblé mes dégagements aux six mètres pas assez puissants par des passes courtes vers des joueurs libres ou des dégagements à la main millimétrés qui pouvaient arriver au milieu du terrain ou dans la course de mes joueurs. 

 

J’ai gravi les catégories une à une jusqu’à être surclassé dans la catégorie supérieure à l’âge de treize ans. Je commençais à me faire une réputation dans la région. Je n’étais pas le plus fort, mais j’étais un bourreau de travail. Ce sport, c’était mon obsession : je mangeais, je dormais et je vivais football 24h sur 24 et 7 jours sur 7.

 

Je me préparais mentalement.

 

Je me préparais mentalement pour chaque entraînement et pour chaque match. Ce n’était pas une chose que j’avais conscience de faire, à l’époque je ne connaissais pas la psychologie, la neuroscience, c’était une chose que je mettais en place naturellement et que l’on appelait de la concentration’ à l’époque.

 

Bien sûr, j’avais des entraîneurs qui nous motivaient et qui nous parlaient de l’importance de se préparer pour être prêt le jour J, mais je suis persuadé que la force mentale est inhérente au poste de gardien de but. En tout cas, je prenais tout autant de plaisir à me préparer psychologiquement qu’à donner le meilleur le jour J.

J’étais grand, 1m92 et je jouais pour le deuxième meilleur club de ma ville.

 

En grandissant et en gravissant les paliers au fur et à mesure, le niveau augmentait également. Tout semblait aller dans la bonne direction, et pourtant, plus le temps passait et plus je sentais que je m’éloignais de mon rêve ultime : devenir footballeur professionnel.

 

Pendant des années, je me reposais sur mon intelligence de jeu pour être performant. Je comblais mes lacunes en développant à outrance mes points forts. En grandissant, je me suis rendu compte que je devais travailler sur mes points faibles que j’avais délaissés depuis des années. J’ai pris conscience que le travail nécessaire pour réaliser mon rêve était un sacrifice de toute une vie. Je n’avais pas envie de sacrifier ma vie pour ce qui n’était qu’un ‘jeu’ pour moi.

 

Je détestais le travail physique d’avant saison. Et celui que nous accomplissions durant la saison entière pour dire vrai. C’était pour moi une vraie corvée.

 

À l’époque, on n’attendait pas d’un gardien qu’il soit ‘comme’ un joueur de champ. On savait que les gardiens ne courraient pas vite, on savait que les gardiens n’étaient pas très technique et du coup, on ne m’avait jamais expliqué l’importance d’être un joueur avec toutes les qualités de base du footballeur.

 

Chaque jour, je faisais face à mes lacunes. Et puis en grandissant, je n’en faisais qu’à ma tête. À l’adolescence, je ne voulais plus m’entraîner autant, je passais du temps avec mes amis à jouer aux jeux vidéos ou à aller au cinéma. Je décrochais tout doucement. Je me braquais à chaque remarque de mon entraîneur, de mes coéquipiers ou de ma famille. Je me suis tout simplement saboté à petit feu.

 

Je campe sur mes positions.

 

Je quitte mon club à seize ans après une brouille avec mon entraîneur. J’avais raison et il avait tort. En tout cas, c’est comme ça que je me le suis justifié à l’époque. Je revenais de blessure et il m’avait promis de me réintégrer à l’équipe A. Entre temps, le gardien numéro 2 avait pris ma place et au moment de revenir dans le groupe A, l’entraîneur pensait que je n’étais pas encore prêt. Je n’ai pas réfléchi longtemps, je lui ai demandé un entretien, je me sentais trahi. Je décidais de tout quitter. Du gâchis selon ma famille et mes amis.

J’étais tellement touché par cet épisode que je n’ai pas joué au football après cela pendant deux ans, même avec des amis. Deux ans qui m’éloignent des terrains à un moment décisif pendant lequel les jeunes des autres clubs sont repérés ou intègrent des centres de formation de grandes équipes.

 

Ce rêve que j’avais depuis tout petit, n’était peut-être pas fait pour moi. C’était probablement une illusion que je m’étais créée dans ma tête. Est-ce que j’avais vraiment envie de vivre cette vie en sachant tous les sacrifices qu’il fallait faire ?

Une remise en question capitale.

 

À l’âge de dix-huit ans, je suis en première année à la faculté de langues étrangères d’Amiens lorsqu’un de mes cousins, Youcef, m’invite à venir prendre en main les jeunes gardiens du club qu’il entraîne. Je n’ai pas beaucoup réfléchis et j’ai dit oui presque instantanément. Le football me manquait, l’odeur des terrains, le bruit du ballon qui est frappé. Ayant mis mon rêve de devenir footballeur de côté, je devais peut-être transmettre mon expérience aux plus jeunes et leur expliquer le plus tôt possible l’importance de définir ses rêves et de tout mettre en place pour les réaliser. Je me sentais chargé d’une mission. J’avais eu le temps en deux ans d’analyser les raisons de mon échec. J’avais tellement travaillé sur mon mental, que j’étais fin prêt à transmettre ces enseignements.

 

C’est assez brouillon et je ne peux pas expliquer réellement d’où sont venues ces techniques, mais j’appliquais déjà les visualisations, les projections. Je brisais mes croyances limitantes et je remplaçais mes pensées négatives par des pensées positives. Je me suis créé de nouvelles routines et je travaillais sur mes points faibles. C’est d’ailleurs comme cela que j’ai obtenu mon bac. En travaillant, bien sur, mais chaque soir à la maison et chaque matin sur le chemin de l’épreuve, je me répétais : “Tu vas avoir ton bac, tu en es capable. Tu vas réussir. Fais-toi confiance.”

J’ai pris un plaisir fou à transmettre ce que j’avais appris lors de mes treize ans de football. J’avais en charge un groupe de trois, quatre parfois cinq gardiens âgés entre sept et neuf ans. J’avais un style de coaching bien particulier : j’étais très proche des petits, mais je savais me faire respecter lorsqu’il le fallait.

“Il faut qu’ils t’aiment et te craignent en même temps.”

 

C’est ce que m’avait dit un des entraîneurs qui avait déjà de la bouteille. Je savais de quoi il parlait.

Mes entraînements étaient tous travaillés des semaines à l’avance de manière méthodique. Je définissais des objectifs à long terme (sur la saison) pour chacun des gardiens et je mettais en place des objectifs à court et moyen terme, sous forme d’exercices par thème et par cycle. Tout cela vers un objectif commun, développer leur potentiel.

 

Une petite graine qui germe.

 

Je me souviens d’un gardien en particulier. Jean Louchet. Il était le plus grand de tous, le plus élancé. Sur le papier, il avait tout pour réussir, mais il manquait de confiance en lui.

Lorsqu’il faisait une erreur et qu’il y avait but, il n’arrivait pas à se ressaisir. Il lui arrivait parfois de pleurer à l’entraînement. Il y avait un mal être et une force qui se dégageait de ce gamin, je savais qu’il était spécial.

 

J’ai passé deux saisons à l’accompagner mentalement. Je lui lançais plus de compliments qu’aux autres lorsqu’il faisait une belle parade et j’étais moins dur avec lui lorsqu’il ne maîtrisait pas l’exercice. Je misais beaucoup sur la psychologie avec lui. Je passais beaucoup de temps à lui parler, à le motiver, à le remobiliser. J’ai certainement planté des graines dans son cerveau qui ont germées avec le temps. En l’espace de deux ans, il a surpassé le gardien qui était plus fort que lui au départ. Il est devenu tellement fort qu’il commençait à attirer les regards des observateurs autour du stade.

 

La récompense de la persévérance.

 

L’un des moments le plus émouvant fut lorsque son père, en fin de deuxième saison, vient me voir après un entraînement et me dit qu’il ne ‘reconnaît pas son fils’, que ‘la transformation est évidente à la maison et à l’école’. Jean était en train de saisir toutes les opportunités qui s’offraient à lui, les unes après les autres et j’étais bien évidemment très fier de lui.

 

Je me reconnaissais dans ce que vivait ce gamin. Vous l’avez bien compris.

 

Je n’ai pas voulu qu’il prenne le même chemin que moi, alors j’ai tenté de lui faire prendre conscience de ses qualités et du travail nécessaire pour arriver à la réalisation de ses rêves. S’il voulait vraiment devenir footballeur professionnel, il lui fallait y penser chaque jour, travailler encore et encore.

À force de travail et de persévérance, il est devenu ce qu’il à toujours voulu être, un gardien de niveau professionnel.

 

J’aurais pu l’abandonner et me concentrer sur les autres gardiens qui avaient un peu d’avance sur lui. Mais j’étais intimement convaincu qu’il était un enfant spécial et que lui, spécifiquement, avec beaucoup de travail, pouvait réussir dans le football. J’ai tout simplement mis tout en œuvre pour lui en donner les capacités techniques, physiques et mentales. Et puis les autres entraîneurs qu’il connaîtra par la suite feront de même, bien évidemment.

 

Quelques années plus tard, j’ai appris qu’il avait rejoint le Paris St Germain et qu’il s’entraînait fréquemment avec le groupe professionnel. Il vient de fêter ses 23 ans le 3 décembre 2019. Il ne se souvient certainement pas de moi, ce n’est pas si grave. Les valeurs que je lui ai transmises sont encore avec lui. C’est le plus important. Je suis fier d’avoir était une pierre à l’édifice de sa jeune carrière qui ne fait que commencer.

 

Ce n’est que des années plus tard que je commencerai à chercher des explications sur ce don naturel que j’ai pour l’accompagnement, la transmission et la motivation ‘utile’ qui mène au désir obsessionnel et à l’action.

 

J’avais pendant des années mis en place des techniques qui ont été fructueuses dans ma vie personnelle et professionnelle. J’en avais testé des dizaines, je gardais celles qui fonctionnaient et je rejetais celles qui ne semblaient pas avoir d’effets sur moi.

 

Le football m’a appris à aimer l’intégralité du processus, à ne jamais abandonner, à visualiser ses rêves pour les réaliser.

Le football m’a également apprit à observer, à écouter et à chercher la progression constante dans tout ce que j’entreprends.

Le football m’a appris également la vie de groupe, les différentes dynamiques, les différents profils psychologiques.

 

Le football m’a appris à devenir un homme et in fine, à comprendre que la transmission de mon expérience était un chemin naturel pour moi.

 

Je n’ai peut-être pas fait de carrière professionnelle, mais ce que j’ai appris en jouant au football est d’une valeur inestimable. Une de mes missions de vie est d’accompagner, conseiller, transmettre. J’en suis désormais entièrement convaincu.

 

Wissame

Puisque, « sharing is caring » :

Wissame
Wissame

Wissame Cherfi est un producteur, réalisateur, podcasteur et auteur avec une expertise de + 10 ans dans le domaine de la production audiovisuelle. Dix années qu'il met à profit désormais en tant que Consultant Créatif Freelance en aidant ses clients sur tout types de projets créatifs. « La musique qui vient de mon cœur » (2022) est son premier livre.

Articles: 82